Bien qu’obtenir des bourses soit un avantage considérable pour étudier dans une université prestigieuse, cela ne suffit pas nécessairement à absorber tous les coûts qui y sont reliés, surtout lorsqu’on étudie dans un programme d’arts visuels qui comprend certains cours pratiques. D’autres préfèrent peut-être économiser en utilisant des matériaux plus simples, moins variés, mais toi… toi tu préfères aller jusqu’au bout des choses, en poussant la créativité au maximum, ce qui cause parfois quelques excès de budget. Aussi, tenir une chaîne Youtube demande un peu d’investissements dans le matériel pour filmer, mais aussi pour éditer tes vidéos. Puis, tu veux aider ton père, qui vous soutient seul, ton frère et toi, depuis que maman est partie. Ton petit boulot à la bibliothèque de l’école paie bien et il est bien pratique parce que tu en profites aussi pour récupérer les ouvrages de références dont tu as besoin pour tes projets. Néanmoins, quand tu as vu l’annonce sur le babillard, tu as pris le numéro de téléphone sans trop réfléchir. Ce n’est pas la première fois que tu offres tes services comme tutrice. Normalement, plutôt auprès d’adolescents qui préparent les examens d’entrée à l’université. Mais le montant offert en salaire était très intéressant, alors tu t’es dit : pourquoi pas? Tout en songeant que quelqu’un de plus qualifié aurait sûrement le poste. Sauf que voilà, ta candidature a été retenue et ta future élève t’a donné rendez-vous dans un café pour votre première session de tutorat. Un lieu plutôt propice à l’étude.
Quand tu arrives, tu reconnais tout de suite Ahn Eun Ji. Eun Ji, c’est comme le premier plan d’un tableau, le point de fuite le plus puissant et le plus attirant. On ne peut pas vraiment en détacher son regard. Elle attire l’attention, prend la place. Alors même si tu ne lui as jamais parlé, tu n’ignores pas qu’elle est inscrite au même programme que toi. Ni qu’elle s’assoit à l’arrière des mêmes salles de cours que toi à l’occasion d’un cours suivi en commun, bien que tu ne regardes jamais dans sa direction, bien que tu ne lui aies jamais adressé la parole. Elle-même ignore probablement ton existence, à moins qu’elle ne regarde le haut de la liste aux résultats des examens. Car il faut l’admettre, tu prends tes études au sérieux et tes efforts portent leurs fruits. Alors même de dos, assises à un ordinateur pour jouer à un jeu — tu connais, tu as essayé, mais les jeux en ligne de la sorte ne t’accrochent pas plus que cela — tu sais que c’est elle. Discrètement, tu t’assois à une table et commande un thé latte avant de sortir un livre sur Frida Khalo puisque tu prépares un portfolio inspiré de son œuvre — dans l’espoir que cette fois la tentative sera plus réussie que la première fois — en attendant qu’elle ne termine sa partie et qu’elle ne vienne te rejoindre. Entre deux lignes de lecture, tu lèves la tête pour voir si elle s’approche, mais la jeune femme semble toujours bien absorbée dans sa partie. Les minutes passent. Puis dépassent l’heure prévue du rendez-vous.
Ping!
L’écran de ton téléphone s’allume doucement tandis qu’il vibre sur la table, t’annonçant la réception d’un nouveau message. Le contenu te consterne. Elle te croit en retard, alors que tu l’attends là depuis plusieurs minutes déjà. Ton père a toujours mis l’accent sur l’importance de la ponctualité et tu es arrivée un bon dix minutes à l’avance. Tes oreilles rougissent d’embarras.
Je suis là, derrière toi depuis une dizaine de minutes, tes doigts courent-ils sur le clavier numérique, J’attendais que tu termines ta partie. Tu semblais concentrée, je n’ai pas osé te déranger.
Tu attends qu’elle se retourne pour lui adresser un timide signe de la main. Tu es vraiment assise juste derrière, à la table la plus près de l’ordinateur devant lequel elle est assise.